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muscles, etc. Je puis, dis-je, soutenir avec assez de vraisemblance que le fluide
électrique n’a par lui-même d’influence au phénomene des contractions muscu-
laires, qu’en ce qu’il en excite les nerfs; en un mot, qu’il n’en est pas la cause
immédiate. Une telle assertion, que les choses expliquées jusqu’ici rendent
plus que probable, est prouvée directement, et de la manière la plus évidente,
comme je vais montrer, par plusieurs expériences que j’ai faites sur la langue:
expériences qui m’ont conduit à d’autres découvertes, aussi intéressantes que
curieuses.

(47.) Etant parvenu à exciter des convulsions toniques, et les mouvements
les plus forts, dans les muscles, et dans les membres, non seulement des pe-
tits mais des grands animaux, sans découvrir aucun nerf, par la simple ap-
plication des armures de différents métaux aux muscles denués des intégu-
ments, je pensai bien-tôt si on ne pourroit pas obtenir la même chose dans
l’homme. Je conçus que la chose réussiroit très bien dans les membres am-
putés; mais dans l’homme entier et vivant comment faire? Il auroit fallu
aussi ôter les intéguments, faire des incisions profondes, emporter même une
partie des chairs aux endroits sur lesquels on alloit appliquer les lames mé-
talliques, (comme j’ai fait remarquer qu’il faut faire souvent aux parties
charnues des grands animaux). Heureusement il me vint dans la tête, que
nous avons, dans la langue, un muscle nu, dépourvu au moins des intégu-
ments épais dont sont couvertes les parties extérieures du corps, un muscle
qui est très mobile, et mobile à volonté. Voila donc, me disois-je, toutes les
conditions requises, pour pouvoir y exciter de vifs mouvements par l’artifice
ordinaire des armures différentes. Dans cette vue je fis, sur ma propre
langue, l’expérience suivante.

(48.) EXPERIENCE Q. Ayant révêtu la pointe de la langue, et une partie
de sa surface superieure, dans l’étendue de quelques lignes, d’une feuille d’étain,
(le papier dit. argenté est le plus à propos) j’appliquai la partie convexe d’un
cuiller d’argent plus avant sur le plat de la langue, et en inclinant cette cuiller
je portai sa queue jusqu’au contact de la feuille d’étain. Je m’attendois à voir
tremblotter la langue; et je faisois, pour cela, l’expérience devant un miroir.
Mais les mouvements que j’osois prédire n’arriverent pas; et j’eus, au lieu de
cela, une sensation à laquelle je ne m’attendois nullement; ce fut un goût aigre
assez fort, sur la pointe de la langue.

(49.) Je fus d’abord fort surpris de cela; mais réflechissant un peu à la
chose, je conçus aisément, que les nerfs qui aboutissent à la pointe de la langue,
étant les nerfs destinés aux sensations du goût, et nullement aux mouvements
de ce muscle flexible, il étoit tout-à-fait naturel, que l’irritation du fluide
électrique, mu par l’artifice ordinaire, y excitât une saveur, et pas autre chose;
et que pour exciter dans la langue les mouvements dont elle est susceptible,
il faudroit appliquer une des armures métalliques auprès de sa racine, s’im-